05/12/2025
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Mes impressions d’initiation
J’ai demandé la parole pour vous présenter mes impressions lors de mon initiation.
Le 16 octobre restera pour moi une date singulière ; le point de bascule d’un voyage qui m’a fait quitter, pour quelques instants, le monde profane et ses repères familiers.
Dès les premiers instants, l’obscurité, les coups frappés au sol, le cliquetis des chaînes et le silence dense du Temple ont agi sur moi comme une rupture volontaire avec la vie moderne. J’ai ressenti un décrochage, presque un glissement hors du temps. Ces sons simples, presque archaïques, m’ont ramené à quelque chose d’essentiel, comme si la cérémonie cherchait d’abord à faire taire le tumulte intérieur pour permettre l’écoute.
Ce qui m’a profondément touché, c’est la résonance inattendue entre ce que je vivais et ma culture familiale et religieuse. Certains gestes, certaines séquences, les colonnes, les codes symboliques, jusqu’aux saveurs - si proches des traditions de Rosh Hashana où chaque mets porte une intention et signification — tout cela m’a ramené à mes racines. J’ai senti que je n’entrais pas dans un espace étranger, mais dans un lieu où le sens et la mémoire circulaient déjà en moi depuis longtemps, à travers d’autres formes, d’autres récits.
Privé de la vue, je me suis retrouvé à avancer guidé, entouré, mais sans pouvoir voir. Cette sensation d’être vu sans voir a été l’un des moments les plus forts de mon initiation. J’avais l’impression d’être observé non pas comme on observe un visage ou un corps, mais comme on perçoit une intention, une vérité intérieure. Dans cette obscurité, quelque chose en moi s’est apaisé, comme si j’acceptais d’être, pour un instant, vulnérable, dépouillé de tout rôle.
Cette impression a réveillé en moi la symbolique de la naissance. Avancer ainsi, en confiance, sans la maîtrise du regard, c’était naître à nouveau — mais cette fois à soi-même. Une naissance silencieuse, intérieure, où l’on renonce à ce que l’on croit savoir pour recevoir une lumière nouvelle.
Ce voyage initiatique a ouvert en moi un espace que je ne soupçonnais pas : un lieu où la tradition et la modernité cessent de s’opposer, où mes racines dialoguent avec une quête plus universelle, où l’on accepte d’être façonné, comme une pierre brute, par l’expérience, la fraternité et le sens.
Je suis ressorti différent de ce chemin. Non pas transformé d’un seul coup, mais mis en mouvement. Comme si l’initiation avait allumé une lumière que je dois maintenant apprendre à nourrir, à comprendre, et à faire rayonner autour de moi.
Depuis de nombreuses années, mon chemin de vie a été nomade, mouvant, presque initiatique avant même que je ne connaisse la Franc-Maçonnerie. J’ai quitté la France pour parcourir d’autres terres, d’autres cultures, d’autres horizons ; comme s’il me fallait multiplier les points de vue pour mieux comprendre qui je suis. Ces voyages m’ont finalement mené en Espagne, un pays où mes ancêtres ont vécu avant les grandes ruptures de l’histoire. Je ne sais pas encore si j’y ai trouvé ma place, mais je sens que quelque chose de mon histoire s’y réconcilie.
Je porte aussi l’histoire de mon père : celle d’un homme parti du Maroc à la fin du protectorat français, déraciné, oscillant entre plusieurs mondes sans trouver véritablement le sien. Cette quête inachevée, cette absence de terre à soi, je l’ai longtemps ressentie comme un héritage silencieux. Peut-être, sans le savoir, mes propres déplacements tentaient-ils de répondre à cette blessure ancienne.
Aujourd’hui, je ne sais pas encore où sera ma terre définitive, mais je sais où se trouve désormais ma pierre. Celle que la Franc-Maçonnerie me confie : une pierre brute à dégrossir, à polir, à travailler patiemment. Cette pierre-là n’appartient à aucun pays ; elle appartient à mon édifice intérieur. Et j’ai la conviction, ou peut-être simplement l’espérance, que ce travail sur moi-même, nourri par mes origines, mes voyages et mes questionnements, rendra un jour l’ensemble plus solide, plus clair et plus pérenne.
Benjamin APPERT BENSUSSAN 19 Novembre 2025